46.
Le dénommé François Monserrat, vêtu d’un anorak en nylon noir et d’un béret sombre, boitant de façon prononcée, descendait Portobello Road, une rue de l’Ouest londonien.
Il traversa le marché en plein air, s’arrêtant de temps à autre levant un stand pour examiner un objet d’art ou un meuble ancien. Il y avait quelques pièces remarquables à acquérir. Et des contrefaçons tout aussi flagrantes.
Il fit tourner dans sa paume un petit lynx en jade, enroula ses doigts autour et serra vigoureusement… Monserrat n’était pas homme à laisser libre cours à ses émotions. En réalité, il les affrontait avec circonspection, les abordant par circonvolutions, comme s’il s’agissait de charges de plastic.
Comme à présent.
Monserrat était en proie à un sentiment de colère froide. Si le lynx en jade avait été fait de fourrure et d’os, il serait mort étouffé dans sa main. Monserrat éprouvait de la colère car il n’aimait pas les petits jeux – surtout lorsqu’il fallait se plier aux règles de l’adversaire.
Green Band, par exemple, était devenu une menace.
Ils créaient leurs propres règles, leur propre jeu.
Ils annonçaient une chose.
Ils en faisaient une autre.
Ils proposaient des réunions importantes… qui n’avaient jamais lieu.
Ils étaient semblables à l’air. Aussi impalpables que des volutes, ou des fantômes. Monserrat les admirait à contrecœur.
Il reposa le lynx en jade et ferma les yeux. Pour se protéger de ses émotions, il recourait à une astuce. Il se réfugiait dans un coin retiré, sombre et paisible, de sa tête ; un monastère de silence. Dans ce sanctuaire, il était presque toujours le maître. Il ne laissait rien entrer.
Cette fois-ci, cependant, l’artifice ne fonctionna pas. Il ouvrit les paupières et l’effervescence du marché l’assaillit de nouveau. Green Band n’était pas loin. Que voulaient-ils exactement ? Il saurait bientôt tout de Green Band, il en faisait le serment.